Le blog des minots

Dans moi

Dans moi, c'est peut-être parfois aussi comme dans vous, un monde où les mots n'existent pas, où l'identité ne peut se définir car y réside un ogre, qui me ressemble, "en plus grand, plus gros et les lèvres bleues". Dans moi, c'est "un pays sans bruit".
Alors, en acceptant de se mesurer à l'ogre, en comprenant ses peurs, on conquiert les mots pour se dire. C'est parfois douloureux mais toujours libérateur.
Un album sur la construction de soi, qui trouvera écho chez tous ceux qui n'ont pas fini de se découvrir (et tant mieux!). Avec l'étrange poésie des illustrations de Kitty Crowther.

Dans moi, Alex Cousseau, Kitty Crowther, édtions Memo, 16€

Mon beau sapin

Le thème du sapin de Noël n'est certes pas nouveau en littérature jeunesse. Rappelez-vous le conte cruel d'Andersen où un sapin orgueilleux, en quête de gloire, après avoir vécu le grand soir de Noël, illuminé et admiré, finit misérablement en petit bois pour le feu.

En ces temps où nous nous soucions beaucoup d'écologie, le sapin devient le symbole d'un combat moderne et alimente le débat suivant : vrai sapin, sapin en plastique ou pas de sapin du tout ? La réponse écologiquement correct est de se priver de sapin ou de replanter l'arbre après usage, cette option n'en étant pas vraiment une pour nous autres citadins.

Sacrifier le sapin donc mais quid des traditions ? Dans Je veux un vieux Noël, un jeune garçon, désespéré que ses parents écolos aient supprimé l'arbre de Noël, se réfugie chez sa grand-mère. Dans ce rafraichissant petit roman à contre-courant, on se moque gentiment des bonnes intentions, des sapins en pochoir et des décorations à fabriquer soi-même. Le sapin reste donc un ingrédient essentiel de la magie de Noël et d'ailleurs, comme le notent les enfants avec leur sens pratique, sans lui, où donc le Père Noël mettrait-il les cadeaux ?

Le sapin, Hans Chritian Andersen, René Mettler, Gallimard Jeunesse, 11€

Je veux un vieux Noël, Irène Cohen-Janca, Caroline Dall'ava, éditions du Rouergue, 6.50€
 

La complainte du progrès

En cette époque où  "le sujet numéro un des français" serait "le pouvoir d'achat", je ne résiste pas à l'envie de fredonner les paroles de La complainte du progrès.
Avec quelle fraîcheur et délicieuse ironie son auteur, Boris Vian, se lance dans l'inventaire d'appareils électroménagers, dont les noms revêtent un prosaïsme aujourd'hui des plus concertants ou une persistante poésie comme mon préféré, le "chasse-filou". Vian semble s'amuser de cette fascination pour les objets, souvent inutiles, qu'accompagnait l'avénement de la société de consommation en France dans les années 50. Pas dupe et visionnaire, il se moque gentiment de ces nouveaux besoins d'achat et prévoit déjà les néfastes conséquences du matérialisme consumériste sur les rapports humains.
C'est bien ainsi qu'il commence :
"Autrefois pour faire sa cour
On parlait d'amour
Pour mieux prouver son ardeur
On offrait son coeur
Maintenant c'est plus pareil
ça change, ça change
Pour séduire le cher ange
On lui glisse à l'oreille
Ah Gudule ! Viens m'embrasser
Et je te donnerai
Un frigidaire, un joli scooter, un atomixaire et du dunlopillo...."

La complainte du progrès ALBUM+CD, paroles de Boris Vian et illustrations de Lynda Corazza, collection dirigée par Philippe Meyer, éditions du Rouergue /  Radio France, 19.50€

Hic sunt sirenae

Jadis, les cosmographes indiquaient ainsi sur leurs cartes l'endroit où les sirènes apparaissaient aux humains : "Hic sunt sirenae". Peut-être ne le savez-vous pas, les sirènes existent. Ange en a rencontré une qui s'appelle Swidja, ce qui veut dire "trésor" en langage sirène, qui s'est blessée lors d'une terrible tempête. Il va la soigner et ils vont tomber amoureux avant qu'elle ne retourne à l'océan. Ils continuent de se voir pendant plusieurs années mais la guerre éclate et des hommes viennent chercher Ange pour en faire un soldat...

Cet album est comme une grâce. Les illustrations sont d'une étonnante liberté, d'une certaine sensualité même et répondent à un texte qui a la force de réaliser, dans le sens plus plus fort du terme, ce conte moderne, de sorte qu'à la fin, nous attendons avec Ange "un signe de Swidja".

Le phare des sirènes, texte de Rascal, illustrations de Régis Lejonc, Didier Jeunesse, 18.50€

Tu veux un chwingue ?

Sarbacane vient d'offrir une vraie bulle d'air à la bande dessinée enfantine, avec la création d'une nouvelle collection dédiée.

Dans Panique organique, on suit les péripéties de Pistou et Chimou, deux bactéries de l'estomac de Stiveune, adolescent de 13 ans qui mangent tous les matins des chocomiams pour le petit déjeuner. Pistou et Chimou en ont assez de cette routine lorque Stiveune, par mégarde, avale le petit objet en plastique offert avec les céréales. Il s'agit d'un vaisseau spatial à bord duquel les deux cellules embarquent pour une aventure intérieure des plus loufoques. Pour exemple, leur présence dans le rein droit engendre une infection et elles s'invitent au Restau du coeur qui a au menu "gras de frites, de beurre  et de chocolat".

Dans Anna et Froga, compilation des historiettes parues dans la revue Capsule cosmique,  le dessin est clair, naïf et le texte propose un réalité plus crue, sans aucune mièvrerie, assez proche de ce que sont les jeux d'enfants, entre rires partagés et moqueries, affirmation et don de soi. L'amitié y est avant tout affaire de complicité, sans glorification aucune et se ressent dans les petites choses de la vie quotidienne, comme proposer :"Tu veux un chwingue ?".

Panique organique, Marion Montaigne, 12.50€, Sarbacane

Anna et Froga, tu veux un chwingue, Anouk Ricard, Sarbacane, 9.90€

La petite feuille qui ne tombait pas

Nous avions assisté, émus, à leur rencontre balbutiante dans un premier album et nous les retrouvons ici, heureux qu'ils n'aient pas changé. Je parle de Grand Loup et petit loup, amis sans tambour ni trompette, dignes successeurs de Ranelot la grenouille et Buffolet le crapaud, inventés par Arnold Lobel.

C'est le printemps et Petit Loup remarque une feuille particulièrement appétissante dans l'arbre qu'il habite avec Grand Loup. Trop petit pour l'attrapper, il demande à Grand Loup d'aller la chercher mais ce dernier lui demande d'attendre, parce qu'elle finira bien par tomber.L'été, l'automne passent, la feuille n'est toujours pas tombée, Petit Loup continue de demander et Grand Loup de répondre de patienter. Puis, c'est l'hiver et la feuille reste miraculeusement intacte, solitaire, solidement attachée à l'arbre recouvert de neige. C'est alors que Grand Loup décide d'y aller, "comme ça", "sans raison","jute pour voir les yeux de Petit Loup briller"...
Quelqu'un m'a dit récemment que le merveilleux était tout autour de nous, qu'il fallait seulement changer de regard pour l'apercevoir. Je crois qu'elle aimerait bien cette histoire.

Grand Loup et petit loup, la petite feuille qui ne tombait pas, Nadine Brun-Cosme et Olivier Tallec, les albums du Père Castor, 13€

On veut des câlins et des bisous

L'expression du besoin de tendresse n'est plus réservée à la sphère intime. En effet, depuis les manifestations anti-CPE, les militants affectionnent un nouveau slogan, plein d'amour et néanmoins efficace : "on veut des câlins et des bisous". On peut légitimement penser que les représentants des forces de l'ordre, heureux veinards à qui sont adressés ces mots d'amour, s'attendrissent quelque peu. Ce qui ne risque pas d'arriver, avec les drones, leurs remplaçants dans un futur plus ou moins lointain, qui eux sauront rester inflexibles en toute circonstance.
En attendant l'avénement de cette ère idéale, profitons du Temps des câlins avec Patrick Mc Donnell et son chaton "qui ressentait tellement d'amour qu'il voulait faire des câlins au monde entier" et qui  "ne voulant oublier personne, composa une liste de câlins à faire et l'apprit par coeur". L'histoire est toute simple, le dessin sobre et d'une douceur à faire fondre le coeur des drones (comme quoi, il y a encore de l'espoir).

Le Temps des câlins, Patrick Mc Donnell, éditions Panama, 14€

Histoires sans paroles

Je vois souvent les parents désemparés devant les albums sans texte. Ils semblent se demander : "comment ça se raconte ce truc" ? Et bien, rassurez-vous, il n'y a pas plus facile. Il suffit de lire l'action qui est retranscrite en images et de décrire toutes sortes de détails. Ainsi l'histoire est-elle différente à chaque lecture. Vous n'aurez d'abord pas remarqué ce petit animal à la troisième page puis une autre fois, vous l'ignorerez pour vous interroger sur la signification de ce bonhomme qu'on retrouve sur chaque planche ou vous pâmer devant la couleur des feuilles dans les arbres etc.  De plus, ces lectures sont très participatives, les petits s'amuseront à nommer ce qu'ils reconnaissent et les plus grands vous feront remarquer des détails que vous n'aurez pas pu vu.

Deux magnifiques albums sans texte viennent justement de paraître. Tous les deux ont un format à l'italienne avec des genres illustratifs très différents

Dans la balade de Max, Max monte dans un arbre puis tombe en crevant un nuage dodu, qui déverse alors toute son eau dans les bois. Dans ce déluge, Max sauve un bébé blaireau. Mais le nuage troué semble lui en vouloir et s'engage alors une folle poursuite ...

Dans Le colis rouge, un homme prépare un paquet qu'il part livrer à vélo, on se demande où et à qui. Il voyage à travers des paysages fantaisistes. Les détails fourmillent et le situations étranges ont de quoi faire travailler l'imagination.

La balade de Max, David Gautier et Marie Caudry, Albin Michel Jeunesse, 14.50€

Le colis rouge, Clotilde Perrin, Rue du Monde, 17€

Un monde sans enfants

Imaginez un monde où les Hommes ont découvert le secret de la longévité. Grâce à un traitement médicamenteux leur permettant de stopper le vieillissement, l'éternité leur est promise :  la mort ne frappe alors plus que les victimes d'accidents ou d'homicides. Ce monde devient très vite surpeuplé et il devient interdit d'avoir des enfants, à moins de renoncer à la longévité. Une vie contre une vie. Les enfants qui naissent sans que leurs parents se soient "affranchis", s'appellent "surplus". Privés de toute liberté et conditionnés à ne rien désirer, ils sont élevés dans des pensionnats aux conditions de vie très difficiles, afin d'être formés au métier de gens de maisons et de servir les autres, les "légaux". 

Dans ce monde de vieux , certains adultes résistent, dans la clandestinité, et pensent au contraire que supprimer la jeunesse, c'est supprimer toute possibilité d'idée nouvelle et qui si les hommes vivent pour toujours, l'humanité est en train de mourir.

C'est ce monde cauchemardesque que nous décrit Gemma Malley dans La Déclaration. en s'attachant particulièrement au personnage d'Anna, une surplus de 13 ans.

La Déclaration, Gemma Malley, Naïve, 16€ -  à partir de 13 ans.

Be safe

Je vais vous présenter un livre très réussi pour lequel le bouche-à-oreille commence à peine dans notre petit milieu littéraire, mais promet d'aller en s'amplifiant jusqu'à lui assurer, à mon humble avis car je ne suis pas Madame Soleil, un certain succès.

Dans Be Safe, Oskar raconte comment son grand frère, Jeremy, un jeune adulte au chômage, s'est fait embrigader dans l'armée américaine, sur un parking de centre commercial. Les militaires lui disent qu'il va apprendre un boulot, pontonnier, mais une fois enrôlé, au bout de quelques mois d'entraînement, Jeremy est envoyé en Irak. Pas pour construire des ponts mais pour faire la guerre.

La tension dans le foyer familial de Jeremy va grandissante et nous la ressentons également, nous lecteurs. Nous craignons pour la vie de Jeremy, au fur et à mesure, qu'arrivent ses lettres et ses e-mails. Cependant, puisque les plus belles et pires choses de la vie se trouvent souvent entremêlées, c'est dans cette épreuve que s'éveille la conscience d'Oskar. Il tombe amoureux pour la première fois et avec Marka, compose et interprète des chansons pour témoigner de la douloureuse expérience de ceux qui sont là bas.

Sans manichéisme aucun et avec beaucoup de pudeur, l'auteur Xavier-Laurent Petit, aborde ce sujet délicat de la guerre ainsi que celui de l'adolescence en tant que passage à l'état d'adulte, dans un monde où le bonheur pourrait être celui de nous choisir un rôle et de l'assumer.

Be safe, Xavier-Laurent Petit, Ecole des Loisirs, 10.50€